Tribune: Et si Frantz Fanon avait tort ?

Tribune: Et si Frantz Fanon avait tort ?

Et si Frantz Fanon avait tort, en disant que l’Afrique est un revolver, dont la gâchette se trouve en République Démocratique du Congo ?

De Gaéthan Kombi/ Politologue

De nos jours, Force est de constater que, pendant que la RDC reste dans une sorte de torpeur, face notamment à ce qu’elle qualifie, fréquemment d’improductivité de la Monusco et la léthargie de la communauté internationale, certains États d’Afrique, entre autres ceux de l’Ouest , sortent des carcans leur imposés par la France et les néocolonialistes.

La voix est forte en Afrique de l’ouest. L’éveil panafricaniste y est prêché à haute voix, et l’adhésion à ce qu’on peut appeler « repli souverainiste » est totale. Ce n’est plus du coup de la gâchette d’Afrique ( RDC) que la renaissance africaine est entrain de repartir, mais de certains États de la CEDEAO révoltés par le suprémacisme impérialiste. La rappeur franco-Algérien, MEDINE avait donc raison, d’insinuer que si l’on renversait l’Afrique, et qu’on la prenait par la corne d’Ivoire, elle n’aurait plus la forme d’un revolver, dont la gâchette se trouve au Zaïre, mais celle d’un porte-voix (dont la manche se trouve à l’Ouest).

Le Mali, la République de Guinée, le Burkinafaso et tout récemment le Niger, ont haussé la voix et le ton à la fois. Les messages qu’ils font passer, et qui fait l’unanimité au sein des peuples est clair: « Nous ne voulons plus des puissances étrangères chez nous, à moins que ce soit dans le cadre des coopérations bilatérales, ou multilatérales, dans une relation d’égal à égal. » Cette prise de position nationaliste, à saveur indépendantiste, qui a coûté la vie à quasiment tous les pionniers d’indépendances africaines, dont Patrice Emery Lumumba, redonde aujourd’hui, et sûrement, comme on aime l’imaginer,  » les âmes des pionniers d’indépendances des 4 pays, tressautent de fierté, de voir leurs testaments d’une Afrique aux africains, longtemps offusqués, être honorés« 

L’Afrique se vent très chère

En Afrique, la seduction bat son plein. Tour à tour, et quelquefois même de manière concomitante, les grandes puissances, engagées dans une guerre froide, exacerbée par le conflit russo-ukrainien, se lancent à la drague de l’actuelle plus belle femme du monde, la seule capable de faire basculer les rapports de force jusque-là en jeu de ping-pong, l’Afrique. Chacun y va à sa manière et malheureusement pour l’Occident, le passé s’avère être un élément déterminant dans « cette nouvelle course à l’Afrique »

L’Occident, dont en tête de fil la France, a réussi à conquérir l’Afrique, presque totalement au lendemain de la chute de l’URSS, et la soi-disante fin de la guerre froide. Sauf que, de l’Afrique, la France en a fait son champ, plutôt que d’en faire sa zone d’influence. Pire encore, la France a même déclenché, à travers l’assassinat du Colonel Khaddafi, ancien président de la Lybie, non seulement la plus grande crise sécuritaire au Sahel, mais surtout la prolifération exponentielle du terrorisme dans la région. C’est alors que les Africains ont pris conscience de la présence inopportune des missions françaises, étrangères et onusiennes sur leurs terres. Malgré tout, la rupture était impossible, étant donné la brillance de la France et ses pairs impérialistes dans le système de « placement politique », où les élections ne sont que des artéfacts au sortir desquelles, ce sont les grandes puissances qui placent les dirigeants dans les pays sous leur influence.

Du coup, le continent noir se trouve à un des angles d’une triptyque dialectique. Une sorte de triangle de Karpman, tel que postule le philosophe Simplice DION, où il prend la malheureuse position du « persécuté ». L’Occident lui, étant du mauvais côté de l’histoire, se place du côté extrême de l’Afrique, celui du « persécuteur ». Dans l’entretemps, grâce ses positions antipodales de l’Occident, la Russie jouit aujourd’hui le rôle du « SAUVEUR » de l’Afrique dans ce triangle. Ce, en vertu du principe banal selon lequel, « l’ennemi de mon ennemi c’est mon ami ».

Des putshs populaires, un fait rare

À voir l’euphorie populaire qu’engendrent les putshs qui se succèdent en Afrique de l’Ouest, je tombe dans une forme d’abassourdissemnt sans mesure. Moi qui croyait qu’étant donné leur côté démocracide et leur agressivité, les coups d’État militaires ne pouvaient autant être salués par les peuples. Et bien, je me suis bien trompé. Tout comme d’autres analystes politiques contemporains, peut-être que je n’ai analysé cet acte « anti-démocratique » que selon le seul prisme théorique, pas selon le factuel. Les liesses observées à chaque prises de pouvoir « par la petite porte » des putshistes Maliens, Guinéens, Burkinabé et nigériens ont été quasi-similaires. Les peuples ont jubilé leur salut à l’unanimité. Les mêmes peuples qui manifestent leurs colères après chaque élection truquée. Qui a donc dit que la démocratie à l’occidentale était la seule voie de satisfaction populaire?

La Triptyque de la révolte africaine

On le savait tous, l’Afrique était consciente de son pillage, son emprise et même sa prise en otage par l’Occident, qui en tirent d’énormes profits. Les musiciens le chantent, les poètes l’écrivent, les dramaturges le jouent, les historiens le comptent…l’Afrique nourrit et alimente l’Occident. Et en retour, les africains reçoivent des semblants d’aides au développement, à partir des ressources qui ont été, indûment charriés de leurs pays. Le fameux punchline du rappeur congolais Youssoupha, qualifiée d’incitative à la haine par la France, qui est d’ailleurs devenue d’ailleurs le leitmotiv de prédilection des migrants africains, « On nous a dit la France tu l’aimes ou tu la quittes, je repondrais à cette offense, quand vous nous rendrez l’afrique«  , en dit plus sur la prise en otage du continent à laquelle je fais allusion.

La révolte, que ce soit en Guinée, au Mali, au Burkina ou au Niger n’est pas venue du simple fait d’une génération spontanée. Le sens de révolution a été nourri de l’intérieur depuis des lustres, nous n’en assistons qu’à l’explosion, au moment où la France se délite considérablement dans ses affaires étrangères.

Les africains ont encore en travers de leurs gorges, les deux cauchemars du passé, c’est à dire l’esclavage et la colonisation. Comme si ça ne suffisait pas, au lieu de tirer définitivement un trait à ce passé sanguinaire, à travers une expression non hypocrite du pardon, certaines anciennes puissances coloniales, dont la France, continuent d’imposer une forme de néocolonialisme, afin de garder sur leurs grappins leurs anciennes colonies, dont elles insupportent l’idée d’indépendance. Cette troisième tactique d’asservissement est de trop, les Africains, du moins certains, n’en peuvent plus. Ils en ont marre, de cette nouvelle casquette paternaliste de l’occident, qui part de l’installation de ses bases militaires sur leurs terres, sous un fallacieux prétexte de combattre des mouvements terroristes. Et je ne parle même pas de l’éternelle domestication monetaire des États africains par la France et d’autres pays européens qui frappent encore les monnaies des pays africains, tout à en abritant les réserves. Cas du Franc CFA.

Les africains commencent également, et ce de plus en plus à interroger la pertinence de la démocratie, théorisée selon le prisme occidental, dans leur processus de développement. Nombreux sont ces jeunes, venus de différents pays d’Afrique qui, de manière répétée, retombent sur la même question : À quoi sert la Démocratie en Afrique ?

Pourtant, il y a de cela quelques années, une telle interrogation ne se serait jamais posée, autant les africains gobaient, malheureusement sans réfléchir, que la démocratie était leur prédestination politique, la panacée à leurs problèmes de gouvernance. Force est cependant de constater que, à une propension plus spectaculaire que dans des vieux États démocratiques, tel que l’avance Alain Etchegoyen dans « La démocratie malade du mensonge », dans les États africains, la démocratie se pose plus comme un leurre, une échappée que comme un modèle politique efficace.

Si, comme postule Emmanuel Macron, « La démocratie c’est : Dire ce qu’on va faire, et faire ce qu’on a dit » , Alors, ce modèle politique a échoué en Afrique, pour la simple raison qu’il promet tout ce qu’il ne réalise pas. Et c’est quoi d’ailleurs la démocratie ?

Jusqu’à maintenant, même les plus grands théoriciens des régimes politiques continuent de spéculer sur ce qui est démocratique et ce qui ne l’est pas, dans un spectacle d’imprécisions sémantiques et de chevauchements théoriques affligeants.

Dans un recent tweet, j’ai interpellé mes frères africains sur le fait qu’actuellement, sur le continent, il s’observe une révolution d’approche intéressante telle que  » les régimes de facto paraissent de plus en plus légitimes que les regimes de jure. »

Autrement-dit, je voulais expliquer ce basculement par le fait qu’en Afrique, le pouvoir acquis légalement, c’est à dire « de droit » est souvent du fait des élections truquées, contestées et s’enracine dans une logique de placement politique d’œuvre impérialiste. Une démocratie de façade!

Tout le contraire d’un pouvoir de fait, acquis généralement par des coups d’État, des putschs. Etant donné qu’il vient pour démettre ( par la force) un régime, certes démocratiquement installé, mais qui ne rencontre plus les intérêts des peuples, pour sa réussite et sa légitimation, il lui faut vitalement un soutien populaire manifeste. Ce qui est généralement le cas des peuples révoltés. Ils ne voient plus les régimes de fait comme des mésaventures politiques, plutôt comme les actes de salut pour la Nation.

Partant de l’évidence selon laquelle la démocratie est l’expression factuelle du célèbre dicton « Omni Potestas A Populo = Tout Pouvoir Vient de Peuple », je revendique le privilège de m’interroger sur le caractère « anti démocratique » des actuels régimes malien, guinéen, burkinabé et nigérien, qualifiés ainsi selon le prisme occidental, malgré le fait qu’ils soient portés en triomphe par les peuples souverains de ces pays. Y-a-il donc de démocratie sans le peuple, comme s’imagine Jean Pierre Charbonneau ?

Si le peuple souverain est l’essence d’une démocratie et de toute légitimité politique, En quoi ce qui constitue son soulagement, quoi qu’anticonstitutionnel, peut être qualifié d’anti démocratique ?

La démocratie, on en débat tous les jours, à tout bout de champ, sans cesse, et pourtant, il me semble que, même les États dits de « vieille démocratie » n’en maîtrisent pas encore les contours théoriques.

La démocratie n’est-il tout simplement pas ce que souhaite et accompagne le peuple?

Gaéthan KOMBI

Tribune