Tribune : Loi Tshiani dite « de père et de mère », Quand le débat de fond est au supplice des menaces de mort de l’État

Tribune : Loi Tshiani dite « de père et de mère », Quand le débat de fond est au supplice des menaces de mort de l’État

La liberté de penser est constitutionnellement cautionnée (Art 22 de la Const). Un citoyen, qu’importe son rang ou sa caste, a le droit de réfléchir sur un modèle de société qui lui paraît idoine pour l’émergence de son État, sa ville ou sa contrée. Il est à ce fait, pitoyable de s’insurger contre celui ou celle qui a osé idéaliser une quelconque forme de la société congolaise.

La législature pendante demeure l’une des moins soporifiques de l’histoire de la RDC. Les projets et propositions de loi submergent l’Assemblée Nationale au point qu’à chaque session, les députés ne manquent plus du pain sur la planche. La présente analyse pointe son curseur sur la proposition de loi initiée par l’ancien candidat président Noel Tshiani, à laquelle l’on affuble, par raccordement factice, l’attribut de « Loi sur la congolité« .

La question de la nationalité congolaise est une boîte de Pandore qu’il ne faille ouvrir. Une fourmilière qu’il faille ne pas agitér. Un feu dans lequel il ne faut jeter d’huiles. Cette question est tellement sensible que la société congolaise entière fait mine de l’ignorer, malgré son importance sur l’avenir de la nation. La question fondamentale « Qui sommes-nous » est alors élégamment éludées, pas pour le bien du pays, plutôt pour en éviter le naufrage.

Qui est congolais, qui ne l’est pas? Cette questions a le mérite d’avoir des réponses découlant des différents textes juridiques qui définissent la nationalité congolaise. La constitution ( Art 10) pond la règle générale et la loi sur la nationalité en décline les contours. Plus de débats, Est donc congolais d’origine, puisque c’est de ça qu’il sagit : toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo.

Ancrage théorique

Les services publics sont bénéficiaires des privilèges mais aussi tributaires des certaines obligations. Aux avantages dont ils jouissent s’ajoutent certaines contraintes vis-à-vis notamment du public qu’ils sont appelés à servir. Ils sont soumis notamment au principe de légalité, de neutralité et d’égalité d’accès aux services publics.

À priori, la loi Tshiani blesse ses pricipes qui voudraient que : Tous citoyens, selon qu’il remplit les conditions exigées par les textes juridiques préétablis, ait accès aux services publics, tout en profitant de ses avantages et en se soumettant à ses contraintes, et ce en toute neutralité. C’est à dire sans être avantagé ou pénalisé particulièrement.

Or, dans sa substance, la loi Tshiani (Encore au stade de proposition), relative à la modification des articles 1,4, 12, 19, 24, 26, 29, 30, 31, 35, 36, 39, 41, 42, 51,52 et 53 de la loi n°04/029 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise, limite l’accès à quelques services publics dont la présidence, la primature, la présidence de la Cour constitutionnelle

Outre ces garde-fous installés aux postes de dits de « souveraineté« , des restrictions pareilles s’appliquent mutatis mutandi au Procureur Général près la Cour constitutionnelle;
au Premier Président de la Cour de Cassation;
au Procureur Général près le Cour de Cassation
au Premier Président du Conseil d’Etat;
au Procureur Général près le Conseil d’Etat;
à l’Administrateur Général de 1’Agence Nationale des Renseignements;
au Directeur Général de la Direction Générale de Migration;
à tous les Généraux des Forces Armées et de la Police Nationale congolaise.

Laissez place au fond

Il est d’une évidence indubitable que la RDC est infiltré dans son système de sécurité. De la basse à la haute hiérarchie, le pays est affaibli de l’intérieur et son émergence en pâtit. Certains postes de responsabilité sont distribués à des individus dont les intérêts se situent loin du pays. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur« , cette expression tirée du Livre de Mathieu, en son 6ème chapitre, verset 21 en dit tout. L’on ne peut servir de tout son coeur un pays auquel on se sent appartenir que par intérêt.

J’ai toujours l’habitude de dire à qui me côtoient que le problème du Congo est qu’il n’y a que très peu de congolais. Inspiré par la fameuse formule « Dis-moi là où tu investis et je te donnerais ta nationalité« , j’ai toujours estimé que le début de la fin de la RDC c’est le fait que « Nous le prenons d’abord comme une vache laitière plutôt que comme un mouton pantelant qu’il faille abreuver puis soigner ».

Ce pays est malade, et très peu en prennent conscience. Simplement parce qu’ils s’en servent pour prosperer au lieu de le faire prospérer. Il est vrai que certains de ces congolais ont des souches d’ailleurs, mais il faut éviter de « Jeter le bébé et l’eau du bain« . Il est tout à fait plausible que certains congolais de père et de mère fossoyent la RDC plus que ceux des parents étrangers et vice versa. La loi dite Tshiani souffre du coup d’un problème de « généralisation tronquée »

Malgré tout, en la lisant, j’établis que c’est une loi plus protectrice que correctrice. Plus concervatrice que réparatrice. C’est une loi qui « protège » les hautes institutions congolaises des futures infiltrations. Faisant d’une pierre deux coups, celle-ci vient également désinfecter les institutions de la RDC qui sont infestés par des « agents doubles » qui n’ont rien à cirer de l’émergence de la RDC. Telle est la lecture simpliste que je fais de cette loi dont j’attends impatiemment le débat de fond. Après tout, nous sommes dans une société moins primitive, où les divergences se résolvent avec des idées, des arguments, et non avec des coups de poing.

Hélas, et c’est là que se situe la note de désolation, il s’obserbe que, depuis son annonce, cette proposition de loi de Noel Tshiani génère plus d’insultes, d’intimidations et de mépris que d’arguments. La loi naturelle de la dialectique voudrait pourtant qu’une réflexion de fond soit contre-argumentée par une autre de même type mais aux idées différentes. Pour en finir avec cette primitivité, il est à mon avis temps que ceux qui s’inscrivent en faux contre cette loi, qu’ils qualifient de « raciste » et d’outil d’acharnement contre Moïse Katumbi, fondent leur désapprobation sur un fond cohérent plutôt que sur des menaces de mort de l’État congolais. Ainsi peut grandir notre jeune démocratie qui, comme pense Alain Etchegoyen, « se nourrit des critiques roboratives et des soulèvements populaire réfléchis. »

Encore une fois, Un parlement incredible et inutile

La problématique de la crise de representativité, analysée notamment par Jean Pierre Charbonneau, est un mal qui est, mirabile dictu familier à notre pays et à notre regime politique. La République Démocratique du Congo, à l’instar de la majorité de démocraties au monde, connait une sorte de distorsion entre les peuples et ses élus.

Les peuples ne croient plus en ses élus. Mine de rien, c’est de ces mêmes peuples que proviennent ces élus qui, quelques mois ou années après leur élection, deviennent méconnaissables. Cette situation se prouve éloquemment avec ce débat sur la loi de « père et de mère » impulsée par Noël Tshiani. Clairement, en suivant la rhétorique, l’opinion congolaise qui est contre cette loi veut, énergétiquement, éviter l’alignement « quasi-acté » de celle-çi au programme de la session de Mars (en cours) à l’Assemblée Nationale. Le fait d’esquiver la deuxième plus grosse institution du pays, qui pourtant se doit d’être le reflet de l’opinion populaire, exprime la défiance du peuple envers ses élus. Personne ne croit en la capacité des députés nationaux à user de leur propre conscience et leur libre-arbitre pour voter, rationnellement le pour ou le contre.

Comme à chaque fois qu’il s’agit d’un sujet qui met aux prises la majorité et l’opposition, c’est plus facile de savoir d’office la tendance qui sera prise à l’hémicycle. Autant les partis se prennent sur fond des couleurs ou obédiences politiques, Il relève d’une rareté assourdissante de voir un élu, portant bannière d’une tendance politique, prendre parti pour la cause d’une autre en raison de la non pertinence de la position de sa propre tendance politique. Il est vrai, et très vrai d’ailleurs que les partis politiques inhibent les initiatives personnelles, au mieux, ils corrodent l’esprit de jugement propre. Les élus sont du coup soumis, telles des petites manettes aux mots d’ordre des « Autorités morales », même pour des sujets requérant leurs bons sens personnels. Résultat, il n’ y a plus de conscience personnelle, les débats de façade qui se mènent au parlement ne servent que d’enfumage et la position de ce dernier est connu avant même que le sujet ne soit aligné. Le peuple ne croit plus en la capacité du parlement à juger pour son compte, et réclame logiquement son pouvoir de législateur originel via le référendum ou les consultations populaires directes. Helas, le peuple lui-même est autant mal éduqué que ces propres élus.

Et le peuple se prenait en main ?

Étant donné que la politique revêt un caractère forcément agoniste (affrontements, confrontations d’arguments) qui valorise une opinion par rapport à une autre, une personne par rapport à une autre, il doit y avoir un juge pour apporter un jugement définitif. Pour Anne-Marie Gringas, ce juge ultime c’est le peuple en Démocratie, le tyran en Monarchie.

Sur fond d’un contrat social, dûment signé, et régulièrement renouvelé, nous peuple congolais réaffirmons notre assujettissement à l’autorité dont le pouvoir provient de notre propre initiative. Et pour mieux la contrôler et lui éviter des abus, la démocratie, comme système politique prônant un regime des libertés, nous a paru plus idoine. Ce système que Abraham Lincoln a qualifié de « Pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple, dans son allocution à Gettysburg, le 19 Novembre 1863, permet au peuple congolais, non seulement de barrer les abus du pouvoir, mais surtout d’exprimer son ressenti par rapport à un problème social qui requiert son intervention. Cette participation du peuple se situe à plusieurs niveaux de consultation populaire : Aux élections, aux sondages populaires ou encore aux référendums.

Cette dernière technique de consultation populaire (Référendum) s’avère être la plus lourde et la moins usuelle étant donné son coût et sa complexité. On y recourt donc que rarement, pour des questions très vitales de la vie d’un État. Le deverouillage/modification des dispositions sacro-saintes d’une constitution. Le référendum fait appel à la participation directe du souverain primaire. Cela suppose, spirituellement que, de par l’importance de la question sous examen, il n’y a que le peuple, et lui seul qui peut porter un jugement adapté et éclairé. Après tout il en va de sa survie.

La loi Tshiani pourrait être un nouveau rendez-vous avec la démocratie directe. Celle qui prône la participation directe de la population parce que là, non seulement il faudra réviser la loi sur la nationalité, mais également la constitution qui ne resserre pas autant l’étau autour de l’accès auxdits « postes de souveraineté » visé par cette proposition de loi. Et donc logiquement, le souverain primaire devrait départager les pros et les contres cette loi. Cependant, l’autre blocage se situe au niveau de l’article 219 de la constitution qui prohibe toute révision constitutionnelle pendant l’état de siège. Or, la RDC, pas une seule province comme le pensent certains non-avertis, est sous état de siège. Ceci signifie, selon l’article 144 al 4 de la constitution, qu’il s’établit sur TOUT ou PARTIE du territoire.

Il est donc difficile, à l’heure actuelle de dessiner ce que sera la scène politique congolaise après les débats autour de la proposition de la loi Tshiani. Toute fois, sincérité oblige, nous sommes dans l’obligation d’admettre qu’il y aurait un Congo d’avant et d’après la loi Tshiani, si seulement cette dernière venait à être votée. Le ciel ne tomberait pas pour autant.

Gaéthan KOMBI

Tribune