RDC : Quand l’ampleur du danger invite le diable à la table sacrée

RDC : Quand l’ampleur du danger invite le diable à la table sacrée

On se bat ensemble, ou on meurt ensemble.

Les propos de Muhindo Nzangi Butondo, Ministre de l’Enseignement Supérieur et Université, devant un parterre de journalistes à son passage dans la ville de Goma le lundi 6 Mars 2023, ont produit un feedback ago-antagoniste. Les congolais, selon qu’ils sont de telle ou telle autre obédience, ont pris position par rapport à ce que nous qualifions, librement et sans vergogne, « d’obus médiatique ». Ces propos ont alors pullulé dans les réseaux, chacun y est allé de son interprétation, au point que le vrai verbatim n’avait plus aucune importance. Dans l’entrecroisement de cet imbroglio, une réflexion sur ces propos dont débats sont en cours nous a semblé idoine.

Aux grands maux, potions magiques. Le pays est embrasé, son intégrité s’émiette et les cris des persécutés ensanglantés résonnent. Or, l’État, dans sa mission régalienne, est appelé, d’abord et d’une, à assurer la protection de ses sujets, disait-on à l’époque, de sa population, dit-on aujourdhui.

Toujours est-il que, nonobstant les ininterruptubles ramifications dans la conception des rôles de l’Etat capacitaire, sa capacité responsive est substantielle. Tout État, digne de l’être, doit repondre aux menaces que subit sa population. Cela est inconcessible, étant donné qu’il s’agit là de l’épine dorsale sur de laquelle s’adosse le contrat social dûment signé entre la population et les dirigeants auprès desquels elle concède une bonne part de sa souveraineté.

Ce n’était donc pas qu’une phrase de la redondance politique, le fameux « Je prêt à mourir pour que la paix revienne à l’Est » lancée par le président de la République peu après son investiture. La résolution de la situation sécuritaire au Nord-Kivu rentre parmi les fonctions lui déléguées par le souverain primaire auprès de qui il a reçu mandat. En des termes plus clairs, « Il se doit de pacifier la région ». Si non, le peuple n’aura aucune pitié à son égard. Pire encore, il pourrait même s’en charger lui-même, comme font la plupart de franges populaires qui se prémunissent des mouvements d’auto-défense afin d’assurer leur quiétude sur un sol auquel ils s’attachent par des liens historiques.

Les forces d’autodéfense sont ces mouvements qui se revendiquent suppléer à la désertion de l’autorité de l’État. Elles prétendent sécuriser les populations de leurs ressorts géographiques, contre l’envahisseur. Dans le cadre de la République Démocratique du Congo, l’envahisseur c’est la masse de forces armées d’ancrage étranger qui se meuvent sur le territoire congolais. La plus emblématique de ces forces se nomme le M23, une résultante du CNDP, RCD et AFDL. Quoique vaincue en 2012, celle-ci a refait surface il y a quelques mois dans le Rutshuru, et sa propension sur la sol congolais est remarquable, mettant même en péril l’effectivité du processus électoral dans certains régions sous son contrôle. L’alarme de Kinshasa a donc sonné, il est temps de s’affirmer sur son territoire. Il est temps d’en finir avec cette récréation, pour empreinter la phrase mythique de l’ancien président Joseph KABILA.

Remis en cause par le haut, à travers une diplomatie agissante qui tousse encore l’inneficacité, mais également par le bas à la suite de la prolifération des groupes armées nationaux et etrangers sur son sol, la RDC est au moment de son histoire où elle se doit de reconquérir sa souveraineté nationale. N’est-ce pas dit-on que « Pour impressionner diplomatiquement, un État doit d’abord s’assurer de sa sûreté intérieure ». Il n’y a donc pas d’autres choix, tous les diables sont invités à table. les plus efficaces, et pas forcément les plus saint auront la part belle. Le Ministre de l’ESU, lors de sa recente descente à Goma l’a bien indiqué, « Les wazalendo, les jeunes patriotes et tous ceux qui ont déjà tiré une balle sont désormais reconnus par le gouvernement congolais. Ils seront mis dans les mêmes conditions que les FARDC pour défendre la patrie ».

L’on se dirige vers une forme de « Wazalendonisation » de la riposte contre les M23. Le marché de la protection est ouvert aux milices. La violence, pourtant du domaine monopolaire de l’État, ne lui est plus exclusive. Tous ceux qui savent outiller les armes, miliciens y compris, sont conviés à cette lutte nationale. L’esprit des propos de Nzangi semble rappeler aux congolais qu’il s’agit désormais d’une confrontation entre « Congolais »et « Étrangers, Envahisseurs ». L’union nationale est donc de mise. Les interprétations sont diverses, mais c’est de cette manière que ma capacité retentive s’en saisit.

Le bémol dans cette coalition bigarrée, est que les mêmes milices sont des forces négatives, qui commettent quasiment les mêmes exactions que les rébellions étrangères. La seule différence réside au niveau de la « Revendication », la « Composition » et des « appuis ». Pendant que le M23 est ramené à des velléités « Balkanisatrice » par plus d’un, car composé et appuyé, en part considérable, par les pays historiquement hostiles à la RDC, ces forces miliciennes elles, jouissent et revendiquent avec succès leur congolité. D’ailleurs, ils se réfugient derrière le « Mulelisme » qui, comme le décrit Jean Pierre BEMBA dans son livre intitulé « Choix de la Liberté », poursuivait l’objectif de lutter contre les nationaux congolais à la solde de l’impérialisme, Mener la revendication identitaire face à l’occupation étrangère et la spoliation des droits et ressources nationales, mais également et surtout, « La Lutte contre la présence des armées étrangères ».

Cette démarcation ne dédouane pas pour autant ces Miliciens qui, dans une forme d’hypocrisie, similent leurs affairismes par une trompeuse chasse à l’envahisseur. En vrai, ces forces d’autodéfense, du moins pour la plupart, s’alivrent à une forme d’économie de la violence. A en croire Tanguy Quidelleur dans « Les dividendes de la guerre contre le Terrorisme », cette pratique consiste à tirer profit de la violence ou de la menace à partir des interactions organisées entre les acteurs. Les revendications ouvertes de ces autodéfenses s’apparentent toujours au Mulelisme. Mais dans le fond, de façon latente, ils sont dans l’exploitation des ressources locales et les tracasseries sur la populace dont ils prétendent assurer la défense. Ces groupes d’obédience nationaliste-révolutionnaire, nient systématiquement les violences qu’ils font subir aux populations. Ils justifient ces phénomènes comme des simples dommages collatéraux rentrant dans le cadre plus large de la guerre contre le terrorisme. L’on peut donc comprendre l’inquiétude fondée et rationnellement bâtie de certains compatriotes. À l’image de la LUCHA qui a condamné ce qu’elle qualifie « d’insulte pour les populations victimes des actes de ces Wazalendu et qui attendent toujours justice ». Un son de cloche similaire a été lancé par le M23 lui-même qui a fustigé cette « officialisation du partenariat FARDC-Mai-Mai ». On se croirait bien devant un débat entre deux pêcheurs (M23 et Mai-Mai) dans lequel chacun veut prouver sa sainteté. Bon pour les guignols!

Jadis, pour mener à bien leur combat nationaliste-révolutionnaire, face à la toute-puissance des forces étrangères, ces autodéfenses, communément reconnues sous le sobriquet « Mai-Mai », recourraient à la superstition qui en assurer l’invulnérabilité. Il arrivait même qu’ils soient exempts de la mort par balles. Ils étaient par exemple soumis à une aspersion d’eau bénite par un féticheur, une scarification… Les témoignages d’à l’époque renseignent que ces Mai-Mai n’étaient vulnérables au feu de canon. Raison pour laquelle, en toute réserve, nous estimons que ceux de nos jours ne sont que contrefaçons. Ceci s’explique par le fait qu’ils sont vulnérables autant que d’autres humains, et ils enfreignent certains rites qui étaient sacrés pour ceux de l’epoque de Mulele. On en entends les échos de viols, de vols, de fuites… pendant que ces pratiquent s’incrivaient dans l’arsenal d’interdits à l’époque. Il est donc clair que les Mai-Mai d’aujourd’hui sont des imposteurs qui n’ont rien à avoir avec les Mulelistes dont certains contemporains éprouvent de la nostalgie.

Tout État, pour sa sûreté intérieure, face aux menaces venant de l’extérieur, recourt à sa puissance de feu pour imposer sa grandeur en interne, et s’affirmer comme tel à l’international. L’État n’a donc jamais d’autres choix dans un tel contexte. Mieux, il est contraint de prendre le rôle du marteau et non de l’enclume. Autrement-dit, il doit faire souffrir plutôt que de souffrir des effets d’une rebellion ou d’une force centrifuge. C’est ainsi qu’il se developpe ce que le Professeur Alphonse MAINDO nomme la violence d’État. Son essence résulte de l’instinct de survie d’un État face au risque de dépérissement de sa toute-puissance. Dans ce cas de figure, tous les partenaires, y compris bien évidemment le diable, sont associés à la quête nationale.

Les récentes déclarations du ministre NZANGI en sont l’illustration parfaite. La Wazalendonisation, la sous-traitance ou encore l’appui des forces armées de la République Démocratique du Congo par les miliciens, tel que prêché par l’élu de Lubero rentre dans ce cadre précis. Le démenti a été apporté par le patron de la Communication du Gouvernement et celui des affaires étrangères, mais il s’avère que sur terrain, comme souvent d’ailleurs, ces forces d’autodéfense se substituent à l’armée régulière sur différents fronts. À l’issue de cette guerre, une fois remportée, quelle autre récompense viendrait de l’Etat congolais aux « Wazalendu » si ce n’est l’intégration dans l’armée régulière ? Cette interrogation nous turlipine l’esprit.

Tanguy QUIDELLEUR n’a donc pas tord de s’interroger sur le devenir des groupes d’autodéfense (alliés à l’armée régulière) au moment où le conflit s’accélère et où ces derniers ont de loins moins en moins intérêt à se désarmer. Pour une fois, chers compatriotes, je nous rappelle à des réflexions prospectives face à cette épineuse interrogation sur l’avenir de notre chère et bien aimée République Démocratique du Congo.

Gaéthan KOMBI, Politologue-Éditorialiste, Chercheur en Sciences politiques et en Polémologie

Que vive la RDC

Tribune