Jean Pierre Bemba : La Violence pour combattre la Violence

Jean Pierre Bemba : La Violence pour combattre la Violence

La redondance d’une famille de mots couchée dans mon travail de mémoire de Licence s’est muée depuis lors en obsession, si bien que je ne m’en passe guère dans quasiment tous mes travaux relatifs à la guerre. Du coup, je la restitue in extenso, selon qu’elle a été griffonnée en premier lieu par le Professeur Alphonse MAINDO, de peur d’en pervertir le sens et l’esprit.

«La violence se trouve en amont, au coeur et en aval de l’État au Congo. De l’EIC à la RDC de Joseph Kabila, elle a toujours été le lot des populations dont elle semble rythmer et façonner le vécu et les imaginaires. Elle a permis l’ascension fulgurante de quelques noms désormais inscrits dans les registres du Panthéon de la gloire de ce pays. Grâce à elle notamment, des hommes comme Jean Pierre Bemba ou Joseph Kabila se sont decouverts des ambitions, une vocation voire des talents politiques. Des Banyamulenges ont acquis une importance majeure sur la scène politique; des miliciens Mai-Mai sont rentrés dans l’histoire. Inversement, les grands chefs comme Laurent Désiré Kabila ou Laurent Désiré Kabila étaient poussés à la sortie».

C’est donc grâce à cette violence, puisqu’ancien commandant en chef de l’Armée de La Libération du Congo (l’un des mouvements rebelles qui ont fractionné le pays en quatre) que Jean Pierre Bemba s’est taillé la part belle dans la très rigide arène politique congolaise. Près de deux décennies après, il revient aux affaires publiques. Cette-fois, pas dans le cadre d’une intégration sur fond des armes, plutôt dans le cadre d’une coalition des forces politiques dont son parti le MLC revendique un poid non négligeable.

Généralement, et souvent à tord, l’opinion garde une image « sédentaire » d’un ancien maquisard. Et pourtant, Jean Pierre Bemba sort du gros lot des anciens maquisards scientifiquement penchés. Le président du MLC, contrairement à plusieurs porte- flingues dispose d’un bagage intellectuel consistant, qui se traduit de fait par la bien-pensance théorique exprimée dans son fameux livre « Le Choix de la Liberté« , pondu en 2002. Lecteur assidu de cette oeuvre scientifique dénotant une perspicacité déconcertante, je m’en sers comme baromètre des intentions, capacités et chances de l’actuel ministre de la defense nationale dans ses nouvelles attributions.

Qu’on le veille ou pas, la violence paie. Aussi désappointante qu’elle puisse être, cette phrase s’affirme encore avec plus d’acuité dans nos pays où l’instabilité politico-sécuritaire en appelle épisodiquement à des rapprochements entre l’État et les forces centrifuges. Cela est d’autant plus probant vu que dans ce cercle d’États auquel appartient la RDC, l’État n’est plus le simple détenteur de la violence comme le veut Philippe Braud. Il la détient désormais concurremment avec d’autres groupes humains qui, forçant leur existence politique, utilisent ce même outil contre l’État. La brillante conception de la violence de Philippe Braud montre clairement les raisons même de l’existence des rébellions dans un pays en panne de capacité dissuasive.

C’est dans cette même logique que le professeur Alphonse Maindo demarque la « Violence d’État » de la « Violence contre l’État« . C’est justement de cette dernière qu’est venue la grande partie de la caste dirigeante de la RDC, issue des mouvements rebelles hostiles aux régimes passés. Jean Pierre Bemba qui y a fait brillamment ses preuves, est attendu cette fois au tournant dans le gouvernement. L’actuel ministre de la defense ne va pas mener « la violence contre l’Etat », mais plutôt « la violence d’État ».

La démarcation est aussi simple que l’articulation de cet antagonisme sémantique. Mais, le défis est immense, quoi que devant un intrépide dont la vaillance se situe à un passage de son livre : « Seule l’immensité de la tâche à accomplir et le besoin de relever un défis dictent le comportement et le saut dans le vide« 

La nomination de Jean Pierre Bemba dans le Gouvernement Sama 2 a provoqué un immense tollé dans l’opinion. Au soulagement de voir un chevronné en matière militaire à la tête de la défense du pays dont les pans s’émiettent à coups de cannons, s’est interposée la déception de voir « un ancien chef de guerre au passé nébuleux » occuper un des ministères de souveraineté du pays. Et dire que l’intéressé avait déjà anticipé cette grogne. « Longtemps, je serais, pour ceux qui croyant connaître mon passé, un businessman rebelle. Et pourtant je ne suis qu’un révolté«  , prédisait J-PB dans son livre.

Dans mon esprit, résonne encore le cris poignant de ce militaire congolais, porté par son camarade lors de l’entrée du M23 dans la ville de Goma en 2012. Amputé d’une jambe, le pauvre héros criait d’une voix fort : « On vous a demandé de voter pour Bemba mais vous avez refusé. Voyez maintenant ce qui vous arrive«  . Cette phrase, rythmée par les pleurs m’a permis de mesurer le respect que les militaires congolais auraient envers Bemba. Ce respect aurait comme point d’ancrage, le fait que le nouveau patron de la defense nationale était lui-même un militaire aguerris, entre les mains duquel sont passés plusieurs actuels éléments de FARDC.

L’art de la maîtrise de la guerre convainc Bemba que « Plus de sueurs vous verserez à l’entraînement, moins de sangs et de larmes couleront au front«  . C’est cette discipline que tous les congolais attendent de son armée. Celle qui soit forte, disciplinée, républicaine et dissuasive.

Loin de tout ce qui se dit sur lui, de toutes les horreurs auxquelles sont nom et son passé son liés, J-PB n’a jamais douté de la finalité de sa lutte. « Nous n’avons pas pris les armes pour assister à la déchéance du Congo, mais plutôt parce que nous croyons à un Congo où les BAKONGO, BALUBA,BANGALA et les BASWAHILI seront fiers d’avoir un destin commun, un Congo où toutes les minorités, tous les groupes ethniques sentent qu’ils existent dans un État qui ordonne et un État qui protège«  .

Aujourd’hui au gouvernement, loin des casernes de l’ancienne province de l’Équateur, le VPM Défense doit se rappeler de l’une de ses phrases toujours de son livre. Une phrase peinte d’espoir et d’espérance. « La paix revenue….La souveraineté nationale préservée, j’aurais la conviction d’avoir apporté, douloureusement sans doute, ma pierre à l’édification d’un grand pays et d’un peuple fraternel, rassemblé pour le progrès« 

Le temps est têtu, tout comme les écrits sont indélébiles. C’est sur ce bon théoricien de la paix, la concorde et la souveraineté nationale que repose désormais le destin de tout un pays. Un pays freiné dans son élan par des guerres aux conséquences inénarrables. Comme j’ai l’habitude de le dire : Lorsqu’on détient un ministre de souveraineté, l’un des noyaux durs de la raison d’être d’un État, on incarne la survie de cet État lui-même. Si on tousse, c’est l’État entier qui éternue, et si on pète, c’est l’État entier qui sent.

Jean Pierre Bemba pour un challenge de vie. Pour une nouvelle liberté à choisir, à forcer, à reconquérir.

Gaéthan KOMBI, Politologue-Éditorialiste

Tribune